Chaque œuvre de la série Les Couleurs a pour origine un drapeau national. Ninar Esber en mélange les éléments colorés et graphiques, en proportion de l’espace qu’ils occupent sur la surface initiale, pour produire un simple aplat coloré. Ainsi, ces drapeaux, composés à l’origine de couleurs franches, voire criantes, et de dessins à la simplicité efficace, disparaissent au profit de demi-teintes douces. Les nuances cassées, sensuelles évoquent parfois des teintes de carnation, rendant ces couleurs tendres. Par ce minitieux travail de dilution des formes et comme souvent dans son travail, l’artiste se sert d’une dimension sensuelle comme force de mise en question.
L’usage de la couleur pure provoque un glissement, de l’emblématique vers le sensible. Il se nourrit des notions de synthèse et de simplification ayant irrigué l’histoire de l’art du 20ème siècle. Ainsi, ces oeuvres de Ninar Esber s’inscrivent dans la lignée de la tradition du monochrome en peinture : elles en investissent pleinement le pouvoir de questionnement de la représentation. La mise en doute ne porte pas uniquement sur la dialectique abstraction/figuration mais également sur les enjeux identitaires et politiques des couleurs nationales. Les drapeaux iranien, libanais, français, saoudien, turque ou encore israélien disparaissent dans ce geste artistique doucement iconoclaste, qui met en question leur symbolique ainsi que leur pouvoir de rassemblement identitaire. L’artiste, en dissolvant les symboles nationaux, leur fait perdre leur pouvoir de division, de clivage. Ainsi, le travail plastique effectué se charge d’une puissance symbolique forte. Le processus de création utilisé pour cette série est basé sur un principe de métissage, essentiel dans le travail de l’artiste. Ninar Esber souligne d’ailleurs volontiers, comme un commentaire à cette œuvre, que «la pluralité des cultures est un enjeu critique décisif».
Marion Guilmot
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