Leila Pazooki
Women Eating

Women Eating
Vidéo, 2'47''
2010

 

À la suite du projet The Aesthetic of Censorship débuté en 2009, Leila Pazooki porte son regard sur le cinéma iranien soumis, depuis la révolution de 1979, à une stricte censure imposée par l’Etat. Avec la création du Ministère de la Culture et de l'Orientation Islamique qui a pour objectif d'islamiser toute forme d'art et d'activité culturelle, l’Etat exprime la volonté de conserver une production nationale, en conduisant une politique publique en faveur d’un cinéma « pur et débarrassé de toute vulgarité » . Dès lors, la conformité à une certaine « morale islamique » encadre le cinéma iranien, depuis l’écriture du scénario jusqu’à la réalisation du film, sa production et même sa diffusion.

Exit la représentation des femmes dans des vêtements qui pourraient dévoiler une partie de leur corps, exception faite du visage et des mains. Exit le contact physique entre un homme et une femme, sous quelque forme que ce soit. Ainsi, le dictat de la censure a favorisé l’émergence d’une nouvelle vague de cinéma, communément appelé « Hollywood Islamique ». Si pour Hollywood, le sexe, l’érotisme et la violence sont les ingrédients de base de toute production cinématographique, « Hollywood Islamique » a réussi à trouver ses propres recettes pour dépasser les restrictions imposées par la censure et continuer à divertir son public.

Ainsi, Leila Pazooki a sélectionné pour sa vidéo Women Eating (2010) des extraits de films farsi portant à l’écran des femmes dans un acte semble-t-il banal de consommation alimentaire. Si toute dimension explicitement érotique ne peut désormais s’exprimer, celle-ci est figurée à travers la représentation métaphorique d’une femme qui viendrait porter un simple aliment - solide ou liquide - à sa bouche, évoquant par là même l’acte sexuel. En imposant à l’écran le port du foulard jusque dans la sphère privée, la censure qui contraint la représentation féminine a paradoxalement généré une plus grande emphase sur l’expressivité du regard et l’érotisation de la bouche, mis en scène de manière spectaculaire dans des cadrages en plan serré. À la frontière entre images licites et illicites, Women Eating révèle la créativité transgressive du cinéma iranien, capable de transcender les cadres moraux, religieux et idéologiques ; ou quand le cadre imposé devient vecteur d’une nouvelle expressivité…

Vérane Pina

[1] Agnès Devictor “A public policy for cinema: the case of the Iranian Islamic Republic” in Politix, vol.16, no. 61, 2003, p.151-178
 

À la frontière entre images licites et illicites, "Women Eating" révèle la créativité transgressive du cinéma iranien; ou quand le cadre imposé devient vecteur d’une nouvelle expressivité…