Tokyo Tonight est une des premières vidéos réalisées par Ziad Antar. Dès sa première expérience du medium en 2001, il s’était fixé un cadre méthodologique strict : une durée maximum de trois minutes, peu ou pas de mouvements de caméra, une seule séquence, parfois un seul plan. Ici, l’artiste a intégré une contrainte supplémentaire, due au contexte institutionnel de la réalisation : le titre.
Tournée dans un paysage de pâturages au Nord du Liban, la vidéo est rythmée par une alternance de plans. A travers un pare-brise, et alors que l’on entend une mélodie répétitive produite par un instrument à cordes pincées, des vues de routes désertes invitent à la projection : voyage, traversée, errance… Le ruban de la route, motif presque pictural, évoque également le road-movie, genre cinématographique où le déplacement physique métaphorise bien souvent une quête initiatique. Et en effet, comme dans un conte, il y aura trois escales, trois ponctuations, trois « rencontres ». Des bergers, filmés dans leur contexte quotidien, prononcent finalement face à la caméra ce simple mot : « Tokyo ». Chaque fois, la musique s’était tue, laissant place au bruit du vent et aux bêlements du troupeau. Hors de toute discussion, à très grande distance de son référent, l’énoncé ne sert ni à constater ni à agir. Il convoquera cependant tout un imaginaire, fera apparaître chez le spectateur des images « familières », à force d’être médiatisées, de la grande métropole japonaise qui palpite à toute heure de sons, de lumières, de foule.
Le procédé est d’une grande efficacité: comme un catalyseur, le simple surgissement du mot attire l’attention sur ce qui lie et ce qui sépare ces deux espaces géographiquement, symboliquement et culturellement éloignés. Si la vidéo, comme le revendique fréquemment l’artiste parlant de sa propre pratique du medium, est « la traduction d’une idée », Tokyo Tonight constitue sans aucun doute une mise en perspective de la globalisation, et de l’impact de notre mobilité (réelle ou virtuelle) sur nos propres représentations du monde.De fait, et parce que loin d’être ironique, l’œuvre est empreinte d’une certaine tendresse, on peut y voir un clin d’œil au parcours de l’artiste lui-même. Libanais né à Saïda, diplômé en agronomie, Ziad Antar avait en effet participé cette même année, dans le cadre de sa résidence au Pavillon du Palais de Tokyo à Paris, à plusieurs ateliers et projets au Japon.
Irène Burkel
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